Projet d’établissement international privé à Louvres : l’enseignement public ménacé

vendredi 7 octobre 2005
par  Snes S2 Val d’Oise

Contre l’avis des principaux responsables académiques et départementaux, le Préfet du Val d’Oise - qui vient par ailleurs d’enterrer le projet de lycée des métiers hôtellerie et services de Gonesse pourtant en lien avec la plate-forme aéroportuaire de Roissy - a donné son accord à l’ouverture à la rentrée 2006 d’un établissement international privé à Louvres. Cela s’inscrit dans un contexte politique où les attaques contre l’école publique se multiplient : déclaration de Gilles de Robien sur la nécessaire concurrence et l’inévitable parité de moyen entre école publique et école privée au nom de la liberté de choix des parents, suppressions de postes d’enseignants et de personnels de vie scolaire, fermetures d’options ou de filières, classe surchargées... A Louvres, la communauté de commune n’hésite pas à projeter l’achat du terrain et du bâti de l’ancien centre de formation des cadres de la SNCF à son compte pour les mettre à la disposition de la Direction Diocésaine de l’Enseignement Catholique. Le Snes ne peut l’accepter et demande l’ouverture d’un établissement public répondant aux besoins du secteur ce qui pourrait inclure une section internationale.

Un projet d’école-collège-lycée international privé à Louvres dans les locaux de l’ancien centre de formation des cadres de la SNCF menace de déséquilibrer profondément l’offre de formation dans le secteur et de remettre en cause tout le travail accompli par les collègues des établissements publics pour assurer et faire vivre au quotidien la mixité sociale et défendre pour tous l’accès à une culture commune.

Contre l’avis des principaux responsables académiques et départementaux, le Préfet du Val d’Oise - qui vient par ailleurs d’enterrer le projet de lycée des métiers hôtellerie et services de Gonesse pourtant en lien avec la plate-forme aéroportuaire de Roissy - a donné son accord à l’ouverture à la rentrée 2006 d’un établissement international privé à Louvres. Cela s’inscrit dans un contexte politique où les attaques contre l’école publique se multiplient : déclaration de Gilles de Robien sur la nécessaire concurrence et l’inévitable parité de moyen entre école publique et école privée au nom de la liberté de choix des parents, suppressions de postes d’enseignants et de personnels de vie scolaire, fermetures d’options ou de filières, classe surchargées... A Louvres, la communauté de commune n’hésite pas à projeter l’achat du terrain et du bâti de l’ancien centre de formation des cadres de la SNCF à son compte pour les mettre à la disposition de la Direction Diocésaine de l’Enseignement Catholique. Le Snes ne peut l’accepter et demande l’ouverture d’un établissement public répondant aux besoins du secteur ce qui pourrait inclure une section internationale.

Nous avons été informés au mois de juin dernier d’un projet de lycée international privé dans le secteur de Roissy-en-France. Depuis quelques temps déjà - le document est daté du 9 mai - la Direction Diocésaine de l’Enseignement Catholique faisait circuler une enquête auprès des habitants du secteur de Louvres et des cadre des entreprises implantées dans les environs de la plate-forme aéroportuaire. Cette « enquête rapide préparatoire », largement relayé par l’association Pays de Roissy Charles De Gaulle dont la Secrétaire générale, Mme Roman, est elle-même cadre d’Air France, annonçait l’ouverture pour la rentrée 2006 d’un établissement international sous contrat d’association avec l’Etat « avec dans un premier temps une structure pédagogique d’enseignement général, puis progressivement un enseignement technologique et professionnel ». Les élus de la communauté de communes Roissy-Portes-de-France avaient sollicité l’enseignement catholique « pour répondre aux besoin de scolarisation générés par le pôle d’emplois international de Roissy-CDG ». Afin d’élaborer un « projet pédagogique école-collège-lycée » on demandait donc aux familles intéressées de faire connaître leurs besoins en terme de niveau scolaire et de langue.
Un tel projet ne manquait pas de susciter quelques questions.
Comment pouvait-on annoncer la création ex-nililo d’une structure privée sous contrat d’association avec l’Etat ? Un établissement privé doit d’abord fonctionner pendant 5 ans hors contrat, puis présenter à l’Education Nationale un bilan quinquennal de fonctionnement pour pouvoir prétendre à l’association. Nous avons très vite appris que le nouvel établissement pourrait se dispenser de ce préalable : il s’agira juridiquement d’une extension du collège-lycée Notre-Dame de la Compassion de Pontoise.
Pourquoi les élus locaux avaient-ils fait appel à l’enseignement catholique et quel était la nature du soutien qu’ils comptaient lui apporter ? La communauté de communes avait, en vain semble-t-il, sollicité la région pour que soit créé un lycée international public dans le secteur. En l’absence de réponse positive du Conseil Régional, les élus ont finalement décidé de se tourner vers l’enseignement catholique. La direction diocésaine ayant accepté de répondre favorablement à cette demande, la communauté de communes a décidé de se porter acquéreur de l’ancien centre de formation des cadres de la SNCF au château de Louvres. Ces éléments ont été présentés le 30 juin dernier par Mme Roman à la commission Emploi-Formation du Comité d’Expansion Economique du Val d’Oise, ce qui figure au procès verbal des délibérations de cette instance.
Cette utilisation de l’argent public dépasse largement le seuil prévu par la loi de l’intervention des collectivités territoriales dans le financement de l’enseignement privé. A l’heure où le ministre de l’Education Nationale n’hésite pas à parler de parité de moyens pour l’enseignement privé, une telle décision acquiert un relief particulier.
Dès le début du mois de juillet nous avons écrit aux élus du secteur afin de leur faire part de nos inquiétudes quant à l’avenir des établissement publics. Depuis nous avons pu rencontrer certains d’entre eux. Quelques-uns se sont élevé contre ce projet ou plus largement contre la politique de l’Etat en matière de formation dans le département.
Nous avons aussi pu assister à la conférence de presse organisée dans ses locaux par la communauté de communes le 22 septembre dernier.
A cette occasion, M. Renaud, Président de la communauté de communes et 1er Adjoint de Roissy-en-France, M. Messager, Vice-Président chargé de l’information et la communication et Maire de Louvres, M. Girona, Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique et Mme Roman ont officiellement présenté leur projet.
L’argumentaire était basé sur deux éléments principaux.
D’une part, l’idée selon laquelle il est nécessaire, pour répondre aux besoins des entreprises de la plate-forme aéroportuaire, d’implanter dans le secteur de Roissy un lycée international. Cela correspond à une demande des entreprises étrangères : les enfants de leurs cadres doivent pouvoir bénéficier d’un enseignement susceptible d’être validé dans leur système éducatif d’origine lorsqu’ils retourneront chez eux. C’est aussi un souhait de certaines entreprises françaises dont les cadres un temps expatriés veulent que leurs enfants continuent l’apprentissage de la langue du pays où ils étaient en poste. Enfin, le personnel de la plate-forme aéroportuaire doit maîtriser l’anglais quel que soit pas ailleurs le type d’emploi occupé et le niveau de qualification nécessaire à cet emploi.
Dans le même temps on nous affirme que ce nouvel établissement privé ne fera pas concurrence au service public d’éducation, puisque les formations qui y seront dispensées le seront sur la base du bilinguisme.
L’autre aspect de l’argumentation consiste à se prévaloir - sondage à l’appui - du soutien dont le projet bénéficie parmi les administrés de la communauté de communes. C’est ainsi que 77% des sondés se sont prononcés en faveur de l’ouverture de l’établissement.
Le projet semble donc parfaitement cohérent.
A quelques réserves près toutefois.
D’une part, scolariser dans une structure internationale les enfants de cadres supérieurs français et étrangers, qui pour beaucoup iront poursuivre leur carrière ailleurs dans quelques mois ou quelques années, ne permettra pas de résoudre la question des qualifications nécessaires aux entreprises de la plate-forme aéroportuaire. A moins qu’il s’agisse de se substituer au lycée des métiers, projeté de longue date, et que le préfet du Val d’Oise - pourtant jadis membre du cabinet d’un ministre de gauche - vient d’enterrer sans autre forme de procès. Mais de sections professionnelles il n’est pas encore question. Pour le moment, on nous annonce l’ouverture à Louvres de classes maternelles et élémentaires en 2006 et de classes de collège en 2007 ou 2008, les sections de lycée devant ouvrir en 2011. Aucune date n’a été évoquée par M. Girona pour d’éventuelles sections professionnelles. On en reste donc à la déclaration d’intention de l’enquête préparatoire de l’enseignement catholique.
Le lycée international privé serait-il donc un établissement destiné à recevoir des enfants issus de l’élite économique et sociale ?
Assurément non nous a-t-on affirmé, puisqu’il recevra des élèves boursiers. La chose est assez logique lorsque d’une part on est subventionné par l’Etat (on est donc dans l’obligation légale d’assumer une part des missions du service public...) et que d’autre part on appartient à l’enseignement catholique (ce qui suppose, conséquence d’un idéal évangélique, d’être solidaire avec les plus démunis, ce qui est parfaitement honorable par ailleurs). On est pourtant en droit de s’interroger : n’y a-t-il pas un risque de voir une partie des élèves du secteur déserter les sections européennes des collèges publics au profit de cet établissement international privé ?
Encore une fois on nous dit que non. Le problème, c’est que certaines familles qui font le choix d’inscrite leurs enfants dans des sections européennes publiques - sous réserve d’un certain niveau général, en particulier en langue vivante - pourraient être tentées par ce type d’enseignement dès les petite classes de l’enseignement primaire. L’Education Nationale ne propose pas une telle option dans le secteur et ne peut donc lutter à armes égales.
Dire enfin qu’on ne s’adressera qu’aux enfant de familles bilingues ne tient pas non plus. Rares sont les familles des cadres français ou étranger - à qui on s’adresse prioritairement ici - qui correspondent à la définition du bilinguisme. En revanche un enfant scolarisé dès la maternelle dans un établissement international est de fait bilingue au bout de très peu de temps.
Ce qui ne fait aucun doute en revanche, c’est que les établissements catholiques de l’Oise voisine ne parviennent pas à honorer toutes les demandes des familles et qu’un établissement à Louvres permettrait de résoudre en partie cette question.
Reste le consensus dont le lycée catholique ferait l’objet. Les collègues de plusieurs établissements de la Plaine de France se sont élevés contre ce projet. Ils ont exprimé leur refus dans des pétitions adressées aux élus. Certains conseils municipaux de la communauté de commune ont exprimé leurs réserves. Des sections locales d’associations de parents d’élèves se sont elles aussi inquiétées. Malgré le soutien dont se prévalent les responsables du projet, aucune explication claire n’a été donnée sur le montage financier envisagé par la communauté de communes. Nul n’a même la certitude que le subventionnement de l’achat des locaux ait fait l’objet d’un vote en bonne et due forme. Le montant demandé par la SNCF n’est pas non plus connu.
Au-delà du cas particulier du lycée international privé de Louvres, se pose le problème de la politique de l’Etat en matière de formation initiale.
Le rapport des Inspections Générales de l’Education Nationale et de l’Administration de l’Education Nationale sur l’enseignement dans l’Académie de Versailles tombe à point nommé. On y souligne quelques réalités que les enseignants du premier et du second degré vivent au quotidien : le ministère ne se soucie pas d’épauler le travail accompli par les personnels, le pilotage pédagogique de l’académie est jugé lacunaire, les établissements sont notoirement sous dotés en heures par élève et en personnels, le H/E des collège est le plus bas de France. En outre, l’académie est l’une des moins bien bien loties de France en personnels ATOSS et en personnels d’assistance sociale et de santé. Enfin, elles est aussi sous-dotée en moyens de surveillance. La dépense de l’Etat par élève y est nettement inférieure à celle consentie dans l’académie de Paris : 3096 Euros contre 3841.
Le cas du Val d’Oise est de ce point de vue emblématique : les Inspecteurs Généraux jugent que les résultats y sont mauvais, mais ils sont les premier à s’étonner d’y trouver l’offre la moins diversifiée de l’Académie en matière en particulier d’enseignement professionnel. Sur le terrain, on sait que cela va au-delà et que c’est toute la politique d’offre de formation dans le département qui pose problème. On nous parle des besoins des entreprises en matière d’emploi qualifié. Pourquoi dans ce cas fermer la section tourisme international du lycée de Luzarches ? Pourquoi renoncer à ouvrir le lycée des métiers ? Pourquoi y a-t-il si peu d’établissements qui offrent des formations dans l’automobile, l’aéronautique, les services et la restauration ou encore l’agriculture ? Pourquoi enfin fermer tant d’option de langue dans les lycées du département ?
Par souci de rentabiliser les structures existantes, de regrouper les enseignements nous dit-on dans les instances paritaires où nous siégeons. C’est une chose de rationaliser l’offre de formation à l’intérieur d’un même bassin. C’en est une autre de créer un tout petit nombre de pôles spécialisés, dispersés en de trop rares endroits du département. Or on sait bien que seuls les enfants des milieux les plus favorisés peuvent supporter le coût d’une scolarité qui les éloigne de leur domicile.
Pourquoi faudrait-il que l’enseignement public se prive de filières d’excellence, dès lors réservées à ceux qui en ont les moyens financiers. Si un lycée international doit voir le jour à Louvres, il doit être public. Il doit respecter les règles qui s’imposent au service public, y compris en terme d’équilibre des formations proposées dans le département. Et par souci de tous les élèves, une fois de plus, nous ne pouvons qu’exiger pour le Val d’Oise un véritable plan de rattrapage qui permette à l’école publique de rester un instrument de promotion sociale.