Assises de l’Education prioritaire : face à un débat dirigé, poser les vraies question, faire avancer les propositions de la profession

dimanche 6 octobre 2013
par  Snes S3 MRP

Les remontées des établissements confirment une mise en place chaotique et précipitée des demi-journées banalisées.

Les documents préparatoires trahissent la volonté d’imposer un cadre au débat pour reconduire et légitimer des orientations contestables : faire du programme ECLAIR, le modèle d’une refonte de l’Education prioritaire, en terme de définition locale des missions et du métier, de généralisation d’une hiérarchie intermédiaire pour imposer de bonnes pratiques et d’organisation dérogatoire des enseignements à travers la contractualisation.

La question de la carte de l’Education prioritaire est la plupart du temps escamotée alors qu’au plus haut niveau, ce qui est en jeu est sa réduction de moitié. La mise à l’écart ou l’oubli des lycées en Education prioritaire, dans notre académie, en dit long à ce sujet, certains au Ministère comptant financer la réforme de l’Education prioritaire par redéploiement.

L’objectif de cette publication est de mettre en lumière tous les termes du débat, souvent implicites, et les propositions du SNES-FSU pour que les personnels puissent se les approprier, en discuter, et investir syndicalement la demi-journée banalisée.

 Première question : Qui doit être en Éducation prioritaire ? Qui ne doit pas l’être ?

Le document de présentation du rapport de la CIMAP occulte le débat, pourtant, en cours au plus haut niveau :

« Un périmètre à préciser et des objectifs à clarifier »
« La convergence recherchée avec la politique de la ville permet que les différentes dimensions de la difficulté sociale soient travaillées sur un même territoire par les spécificités des différents partenaires. 
 »

Décryptage :

Ce dont il est question, c’est d’ une réduction de moitié du périmètre de l’Éducation prioritaire : un passage de 20% des élèves scolarisés à 8,9% !

Le projet de réforme de la géographie prioritaire de la ville qui doit être examiné en janvier 2014 prévoit, en effet, de ne retenir sur les 2492 territoires existants que 1200 territoires cibles, au prétexte de ne pas saupoudrer les moyens : un effet d’aubaine pour les technocrates du Ministère de l’Éducation nationale qui cherchent à financer la réforme de l’Éducation prioritaire par des redéploiements que permettrait une réduction du périmètre de celle-ci.

Il faut intervenir sur cette question et ne pas s’en laisser déposséder !


Analyse et propositions du SNES :

La définition de la carte scolaire doit être fondée sur des critères sociaux et scolaires transparents et concertés, elle doit distinguer, sans en viser un nombre prédéterminé, tous les établissements et territoires où les difficultés de tous ordres constituent un frein à la réussite scolaire.

Elle ne doit pas être un instrument de redéploiement des moyens, mais doit intégrer la quasi-totalité des établissements aujourd’hui labellisés et pour lesquels une éventuelle suppression des moyens dont ils bénéficient au titre de l’Éducation prioritaire serait catastrophique dans un contexte où la concentration des difficultés scolaires et sociales s’est accrue sous l’effet de la montée des inégalités et de la crise.

La hauteur des dotations ainsi que des mesures spécifiques doit être modulée en fonction de l’intensité des difficultés, déterminées par les critères transparents et objectifs, auxquelles sont confrontés les établissements.

Cela implique d’augmenter le financement de l’Éducation prioritaire, très inférieur, à ce qu’il est ailleurs. Une réduction du nombre d’établissement en EP ne sera possible que lorsque la mixité scolaire et sociale aura progressé.

 Deuxième question : Quelles sont les raisons du bilan mitigé de l’Éducation prioritaire ?

Document de présentation du rapport de la CIMAP :

« Que peut-on dire de l’efficacité de l’Éducation prioritaire ?

La dernière note de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) indique que, depuis 2006, (évaluations réalisées sur échantillon) en français comme en mathématiques, les écarts de réussite EP/ hors EP sont stables en CM2 mais s’accentuent en fin de troisième. »

Des précautions d’usage sur la valeur de ces données sont rappelées : variation des outils d’évaluation sur la période, mobilité importante de la population scolaire.

Mais aucune mise en perspective historique et sociale n’est faite de ces données. Est-ce pour sous-entendre qu’il faut infléchir la logique du « donner plus à ceux qui ont moins » pour lui substituer un « travailler autrement » promu par les partisans du management ?

Analyse et propositions du SNES :

L’augmentation des écarts de réussite EP/hors EP depuis 2006 correspond à une réorientation de l’Éducation prioritaire (réforme De Robien), accentuée par le programme ECLAIR (2009) : moyens supplémentaires consacrés à la mise en place d’enseignants-référents ou de préfets des études, et non à l’amélioration des conditions d’enseignement (réduction d’effectifs par classe, groupe allégé…), traitement de la difficulté scolaire en dehors de la classe, exfiltration des meilleurs élèves des établissements difficiles à travers l’assouplissement de la carte scolaire, les internats d’excellence...

En 2003, avant ce train de réformes libérales, le MEN notait dans la Synthèse des bilans des contrats de réussite 1999-2003 que « le maintien, voire parfois l’amélioration des résultats scolaires, dans un contexte où d’évidence tous les indicateurs d’environnement social se sont détériorés, montre que l’effet éducation prioritaire est opératoire. »

Pour le SNES et la FSU, l’évolution actuelle entraîne deux revendications :
abandon des logiques au cœur des réformes depuis 2006 (RAR et ECLAIR),
un effort conséquent à faire pour un financement de l’Éducation prioritaire enfin à la hauteur des besoins.

 Troisième question : Réduire les effectifs, est-ce que cela sert à quelque chose ?

Document de présentation du rapport de la CIMAP :

« Quels moyens alloués et pour quels usages ? 
Les études sur l’effet de la diminution du nombre d’élèves par classe ne convergent pas toutes. (…)
Il apparaît dans tous les cas pertinent d’investir dans des moyens permettant l’évolution des pratiques : co-intervention ; accompagnement, formation... »

Décryptage :

Le document cherche à opposer les réductions d’effectifs, à l’efficacité discutable selon lui, à d’autres pratiques plus pertinentes. S’y dessine en creux une gestion à moyens constants de la réforme à venir ; la co-intervention, la formation mais aussi les postes de coordonnateurs, de préfet des études étant financés par un renoncement à une baisse des effectifs.

Analyse et propositions :

Une étude de Th. Piketty en 2005 montre que réduire l’effectif des classes à un maximum de 18 élèves diminuerait de 40% l’écart de performances avec les jeunes « hors-ZEP » (l’écart de performance est pour les établissements actuels de 10% pour une réduction des effectifs de classe de 24,5 à 21,5 élèves).

Les réductions d’effectifs ont un effet encore plus sensible lorsqu’elles deviennent significatives, ce qui n’a jamais été fait. C’est pourquoi, le SNES et la FSU revendiquent des seuils de 20 élèves au plus en collège et de 25 en lycée, du travail en groupes restreints, des possibilités de co-intervention.

Il ne s’agit donc pas d’opposer réduction des effectifs et pratiques diversifiées. Toutes deux sont nécessaires et complémentaires pour faire réussir les élèves.

 Quatrième question : Renforcer l’encadrement et le management ? Ou donner aux personnels, experts de leur métier, les moyens de l’effectuer ?

Ce qui est dit, sous entendu ou éludé
dans les bases de la concertation :

Document de présentation du rapport de la CIMAP :

« Quels moyens alloués et pour quels usages ?
Les missions confiées aux professeurs supplémentaires/préfets des études, pour la coordination éducative et pédagogique, ont montré leur pertinence et développé de nouvelles professionnalités. Leur appellation est à revoir.

Effet net de l’accompagnement par les équipes de circonscription, formateurs et personnes ressources, par les IA-IPR référents qui dépasse le disciplinaire. »

Décryptage :

Arguments d’autorité pour justifier l’usage d’une partie des moyens supplémentaires depuis 2006 qui ont servi à financer la création d’une hiérarchie intermédiaire, chargé de mettre en oeuvre de « bonnes pratiques », recrutés directement par le C/E et les IPR, au lieu d’améliorer les conditions d’enseignement : aucun bilan contradictoire n’a jamais été réalisé.

Analyse et propositions :

Sans mettre en cause l’engagement de personnels dans les fonctions de préfets d’étude ou d’enseignants d’appui, deux conceptions du métier sont en jeu.

Les « nouvelles professionnalités » consistent à déposséder les enseignants de leur expertise pour la transférer à des spécialistes de l’ingénierie pédagogique, déchargés du service d’enseignement, choisis par le C/E et/ou l’IPR, pour impulser « de bonnes pratiques ». Ces derniers, par ailleurs, ont vocation à être privilégiés pour tout ce qui est accès à la hors classe ou à de nouvelles échelles de rémunération.

Pour le SNES et la FSU, la réussite des élèves passe par les apprentissages disciplinaires en classe, ce qui suppose des pratiques diversifiées. Il faut donner aux enseignants, eux-mêmes, les moyens d’y réfléchir et de les concevoir, ce qui suppose comme priorité du temps pour se concerter, sous la forme d’une décharge de service, du temps pour se former, la possibilité de groupes allégés…

  Cinquième question : Piloter par la performance et par le local ? Ou donner les moyens de faire réussir tous les élèves ?

Document de présentation du rapport de la CIMAP :

« Que peut-on dire du pilotage ? »
« La contractualisation entre les réseaux et les autorités académiques va dans le sens d’un pilotage affirmé mais manque encore de structuration et de véritables contenus. »

Analyse et propositions :

Le SNES et la FSU s’opposent à la logique de contractualisation. Elle fait courir le risque d’une mise en concurrence dangereuse des établissements et d’une subordination de l’octroi des moyens à l’application de « bonnes pratiques » et à une organisation dérogatoire.

 Sixième question : Comment rendre les établissements en Éducation prioritaire attractifs pour les personnels ?

Document de présentation du rapport de la CIMAP :

« Perspectives relatives aux ressources humaines :

  • attirer et retenir des personnels motivés et efficaces
  • affecter les professeurs en précisant les missions attendues qui dépassent les missions ordinaires. »

Décryptage :

L’Éducation prioritaire est utilisée pour mettre en cause statuts, qualifications et missions des personnels. La tentation est grande de considérer que le métier ne serait pas le même en Éducation prioritaire qu’ailleurs et que, de ce fait, des fonctions particulières pourraient être imposées (bivalence, participation accrue à l’orientation…). Ainsi dans les ECLAIR, un recrutement local sur profil peut être programmé.

Attention ! Il s’agit alors d’une redéfinition locale des missions et des services, qui va à l’encontre du statut.